En écoutant l’évangile de
l’aveugle Bartimée (Mc 10, 46-52), je me sens, comme cet homme, poussé à crier
vers Jésus: « Seigneur, que je voie ! ». Mais de quelle vision s’agit-il ?
Grâce à mes lunettes, je peux voir correctement, de près comme de loin. Mais n’ai-je
pas besoin de « lunettes spirituelles » qui me permettent de
discerner la beauté du mystère que mes yeux de chair ne peuvent que pressentir ?
Ces questions ont évoqué en
moi le souvenir d’un passage du Grillon du foyer, un des splendides Contes
de Noël de Charles Dickens.
Caleb est veuf et vit avec sa
fille Berthe, qui est aveugle de naissance. C’est un pauvre ouvrier, que son
patron exploite sans scrupule. Par amour pour sa fille, Caleb enjolive la
réalité lorsqu’il la décrit à la jeune aveugle. Ainsi, sa misérable maison
devient, à travers ses paroles, une jolie demeure simple mais confortable ;
Caleb lui-même ne lui apparaît-il pas comme un homme plein d’allant, vigoureux
et toujours joyeux, alors qu’il est, en fait, usé prématurément, épuisé et en
proie à de fréquents découragements ? Le patron sans cœur lui-même
bénéficie d’un portrait flatteur. Ainsi, des années durant, Berthe a l’illusion
de vivre dans un environnement paisible et avenant. Mais un jour, à la suite d’un
événement particulier, Caleb comprend qu’il doit dire la vérité à sa fille.
Celle-ci est d’abord bouleversée et fond en larmes. Mais bientôt, elle comprend
que cette tromperie n’avait d’autre motif que son bonheur, et que l’amour que
lui voue son père est encore bien plus grand que ce qu’elle avait perçu
jusque-là. Celle dont les yeux de chair sont définitivement opaques s’écrie
alors : « Maintenant, je vois ! »
Alors, Seigneur, que je voie
cette bonté dont tu nous entoures, cet amour si plein de respect dont tu nous
témoignes, cette beauté du Royaume que tu nous prépares… Que je puisse dire,
moi aussi : « Maintenant, je vois ! »