Beaucoup de livres dits «de spiritualité» déçoivent et
laissent le lecteur sur sa faim. Il y a, bien sûr, de notables exceptions. Le Cœur du Monde, de Hans Urs von
Balthasar en est une. C’est un des trois ou quatre plus beaux livres de
spiritualité chrétienne qu’il m’ait été donné de lire. J’en recommande
régulièrement la lecture. Depuis plusieurs années, il était devenu introuvable,
renseigné comme épuisée par tous les libraires et distributeurs. Enfin, les
éditions Saint Paul ont eu l’excellente idée de le rééditer(*).
Que dire de ce chef d’œuvre? C’est une œuvre «de jeunesse»
du grand théologien suisse, très différente de ses grands ouvrages, en
particulier de sa trilogie (esthétique, dramatique et théologique). Celui que
le P. Henri de Lubac présentait comme l’homme «sans doute le plus cultivé de
son temps» y médite le mystère chrétien sur un ton lyrique et poétique, qui
emporte le lecteur comme un flot.
Un article
publié sur le blog «Un idiot attentif» en 2011 permet de s’en faire une
(faible) idée. Pour la compléter, voici les premières lignes du livre, suivies
de celles qui le concluent:
«En quelle prison
gémit tout être fini! C’est en prison que l’homme, comme tout être, est né: son
âme, son corps, sa pensée, sa volonté, ses aspirations, tout en lui est entouré
d’une frontière, constitue même une frontière palpable, tout le sépare et
l’isole. Par les ouvertures grillagées des sens, chacun regarde au-dehors vers
une réalité étrangère à lui qu’il ne sera jamais. Et son esprit
s’élancerait-il, comme l’oiseau, à travers les espaces du monde: lui-même n’est
pas cet espace qu’il parcourt, et de son passage il ne subsiste aucune trace
durable. D’un être à l’autre, quelle distance! Et même lorsqu’ils s’aiment et
se font signe mutuellement de l’îlot qui leur sert de prison, même lorsqu’ils
tentent de faire communiquer leurs solitudes et de se donner une illusoire
unité, bien vite les surprend, d’autant plus douloureuse, la désillusion,
lorsqu’ils retrouvent les barreaux invisibles, la froide paroi de verre contre
laquelle ils viennent buter, pauvres oiseaux captifs… (p. 21).
Tu restes seul. Tu es
tout en tous. Même si ton amour nous veut pour se déployer en nous et pour
célébrer en nous le mystère de la génération et de la fécondité, c’est pourtant
ici et là ton amour qui donne et qui
est donné, qui est à la fois semence et terre féconde. Et l’enfant mis au
monde, c’est toi encore. Lorsque l’amour a besoin de deux pieds pour marcher,
celui qui marche est unique, et c’est toi. Et lorsque l’amour a besoin de deux
êtres qui aiment, un amant et un aimé, alors il n’y a qu’un seul amour, et
c’est toi qui es l’amour. Tout est ordonné à ton cœur qui bat éternellement.
Maintenant encore, le temps et la durée battent la mesure de la création et, à
grands coups douloureux, poussent en avant le monde et son histoire. C’est
l’inquiétude de l’horloge, et ton cœur est inquiet jusqu’à ce que nous
reposions en toi, et toi en nous, temps et éternité absorbés l’un dans l’autre.
Mais soyez tranquilles: j’ai vaincu le monde. Le fracas du péché a disparu dans
le silence de l’amour. Celui-ci en est devenu plus sombre, plus flamboyant,
plus ardent, à cause de l’expérience de ce qu’est le monde. Mais l’abîme moins
profond de la révolte a été englouti par la miséricorde insondable, et en
battements majestueux règne paisiblement le Cœur divin» (p. 196-197).
Voilà, il ne vous reste plus qu’à lire les 175 pages qui
séparent le début de la fin et découvrir comment nous sommes conduits de la
prison au Cœur divin.
(*) Editions Saint-Paul, réédition 2014, 208 p., 15 €.
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