Une opinion de Hilde Kieboom, responsable pour la Communauté de Sant’Egidio au Benelux.
Étendre l’euthanasie aux mineurs risque de faire passer pour "un acte de compassion" ce qui est en réalité est un acte de déresponsabilisation, qui abandonne le jeune malade à son sort. Au moment où le Sénat s’apprête à légaliser l’euthanasie pour les mineurs, nous estimons qu’il y va de notre devoir citoyen d’y opposer de sérieuses objections. Nous invitons les formations politiques, les sénateurs et les députés à prendre plus de temps pour approfondir davantage la réflexion.
Notre pays se sent à l’avant-garde en devenant le seul pays au monde à supprimer toute limite d’âge pour l’euthanasie. Doit-on vraiment s’en vanter? Les faits démontrent qu’un tel élargissement n’a pratiquement pas de raison d’être: de nombreux pédiatres et infirmiers/ières témoignent que les enfants gravement malades expriment rarement un souhait résolu de mourir. Leur volonté de vivre, même dans les conditions difficiles de l’approche de la mort, est plus forte que l’éventuel souhait d’anticiper la fin. Aux Pays-Bas, où l’euthanasie peut être pratiquée sur les enfants à partir de 12 ans, la réalité démontre qu’il n’y a aucun besoin en la matière. Depuis 2006, aucun cas n’a été enregistré, même pas en dessous de 30 ans. Pourquoi alors cette hâte suspecte? Pourquoi vouloir coûte que coûte voter cette loi?
Il ne s’agit pas tant, à notre avis, de répondre à un quelconque besoin urgent dans nos hôpitaux, mais plutôt d’un projet idéologique tendant à faire sauter l’un après l’autre les verrous juridiques placés par la loi du 18 mai 2002. Dans une déclaration récente, le Conseil Central laïque rêve déjà de nouvelles modifications législatives: l’euthanasie devrait également être possible pour les mineurs qui ont des souffrances psychiques – incontestablement un groupe plus important, vu le taux élevé de suicides chez les jeunes – mais aussi pour les personnes qui ne sont plus en état d’exprimer elles-mêmes leur volonté. Avec l’augmentation du nombre de personnes âgées qui souffrent de l’une ou l’autre forme de démence, il s’agit d’un large groupe qui pourrait potentiellement entrer en ligne de compte pour l’euthanasie. Face à cette évolution politique, nous voyons se confirmer notre crainte d’il y a dix ans. Une fois disparu le tabou légal de tuer un concitoyen à sa propre demande, la porte s’ouvre sans cesse plus largement. D’où notre question: qui donc arrêtera le train de l’euthanasie?
Traditionnellement, la souffrance psychique et physique du prochain, enfants et autres, incarne un appel éthique à leur entourage et à la société de prendre soin d’eux. Par l’expérience d’un travail dans la durée auprès des malades et des aînés, la Communauté de Sant’Egidio peut témoigner que notre société regorge de forces vives qui sont prêtes à prendre leur responsabilité pour assister et soigner les malades. Autour du lit d’un malade naissent souvent des formes inattendues de solidarité et de chaleur humaine. Les avancées de la science médicale, avec des antidouleurs toujours plus efficaces, permettent que la souffrance physique soit de mieux en mieux maîtrisée. Les soins palliatifs ne veulent pas seulement pallier les douleurs physiques, mais aussi les souffrances psychiques provoquées par le sens de l’abandon.
Si une nouvelle porte s’ouvre pour l’euthanasie, il est à craindre que la société se déresponsabilise toujours plus vis-à-vis de ceux qui souffrent. Car la société ne dit dès lors plus au malade: "Nous allons te soutenir du mieux que nous pouvons avec tous les moyens dont nous disposons et le plus longtemps possible." Mais elle lui demande plutôt: "Réfléchis-bien! Veux-tu vraiment vivre ainsi?" De la sorte, le désir de vivre et de s’opposer à un éventuel souhait de mourir est subtilement sapé chez le malade et son entourage. Ne s’agit-il pas là d’une réelle perversion, pour une société qui d’autre part investit tant dans la prévention du suicide?
Le risque est d’appeler ‘un acte de compassion’, ce qui dans la réalité est un acte de déresponsabilisation masquée. Au lieu d’ouvrir toujours plus la porte ‘pour l’aide à mourir’, il faudrait investir plus d’énergies dans ‘l’aide à vivre’. D’ailleurs, dans beaucoup d’autres domaines de la société, on ne voit pas toute cette volonté de piété et de compassion.
Le soin des malades coûte beaucoup à la société: en moyens financiers, en temps et en énergie. A l’heure actuelle, beaucoup de gens, confrontés dans leur entourage à une personne touchée par une maladie incurable ou des souffrances psychiques, expriment de façon plus ou moins ouverte le souhait que le malade ne prolonge plus trop longtemps son séjour parmi les vivants et qu’il s’en aille à temps. Cette pression, implicite ou parfois même explicite, sur des personnes malades et affaiblies doit davantage être prise en compte. Ainsi, l’autorisation parentale, nécessaire pour les mineurs, nous est présentée comme un verrou juridique et un droit de veto. Dans la pratique, c’est plutôt le contraire qui risque d’arriver: des parents qui commencent à espérer que leur enfant malade ne vivra plus trop longtemps, des enfants qui se sentent une charge pour leurs parents, et qui, dès lors, se sentent incités à faire mettre fin à leur vie.
Dans une sorte d’égarement collectif, notre société glorifie toujours plus la mort médicalement assistée comme un progrès de la civilisation et le summum de l’humanité. Permettez-nous de défendre un point de vue fondamentalement opposé. Les possibilités légales toujours croissantes de recourir à l’euthanasie signifient plutôt ouvrir la porte à une nouvelle sorte de barbarie: le choix, acclamé par la société, de l’auto-élimination des malades et des personnes faibles.
Publié sur le site de La Libre Belgique, du 11/12/2013.
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