Avec modestie,
mais aussi avec détermination, le pape François continue de susciter une
réflexion en profondeur sur l’Église et sa mission. Sans rien abandonner du
message de Salut dont elle est porteuse, il l’invite à se centrer sur l’essentiel.
À cet égard, le long entretien qu’il a récemment accordé au P. Spadaro pour les
revues culturelles jésuites, mérite d’être lu et médité. On peut en trouver le
texte intégral sur le site de la revue Études http://newsletter.revue-etudes.com/TU_Septembre_2013/TU10-13.pdf. En
voici quelques extraits significatifs:
Commencer par le bas…
«Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église
aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur
des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital
de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave
s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons
soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les
blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas. L’Église s’est
parfois laissé enfermer dans des petites choses, de petits préceptes. Le plus
important est la première annonce : “Jésus Christ t’a sauvé !” Les ministres de
l’Église doivent être avant tout des ministres de miséricorde».
«Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la
transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec
insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le
nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le
cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc
trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui
aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le
parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde,
irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les
conséquences morales.»
Chercher et trouver Dieu en toutes choses
«Chercher Dieu dans le passé ou dans le futur est une tentation.
Dieu est certainement dans le passé, parce qu’il est dans les traces qu’il a
laissées. Et il est aussi dans le futur comme promesse. Mais le Dieu “concret”,
pour ainsi dire, est aujourd’hui. C’est pourquoi les lamentations ne nous
aideront jamais à trouver Dieu. Les lamentations qui dénoncent un monde
“barbare” finissent par faire naître à l’intérieur de l’Église des désirs
d’ordre entendu comme pure conservation ou réaction de défense».
«Bien sûr, dans ce chercher et trouver Dieu en toutes choses, il
reste toujours une zone d’incertitude. Elle doit exister. Si quelqu’un dit
qu’il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu’il n’y a aucune marge
d’incertitude, c’est que quelque chose ne va pas. C’est pour moi une clé
importante. Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve
que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux prophète qui utilise la religion
à son profit. Les grands guides du peuple de Dieu, comme Moïse, ont toujours
laissé un espace au doute. Si l’on doit laisser de l’espace au Seigneur, et non
à nos certitudes, c’est qu’il faut être humble. L’incertitude se rencontre dans
tout vrai discernement qui est ouvert à la confirmation de la consolation
spirituelle.»
«C’est pourquoi le discernement est fondamental. Si le chrétien
est légaliste ou cherche la restauration, s’il veut que tout soit clair et sûr,
alors il ne trouvera rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous
aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces à Dieu. Celui qui
aujourd’hui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière
exagérée à la “sûreté” doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé
perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive. De cette manière, la
foi devient une idéologie parmi d’autres. Pour ma part, j’ai une certitude dogmatique
: Dieu est dans la vie de chaque personne. Dieu est dans la vie de chacun. Même
si la vie d’une personne a été un désastre, détruite par les vices, la drogue
ou autre chose, Dieu est dans sa vie. On peut et on doit Le chercher dans toute
vie humaine. Même si la vie d’une personne est un terrain plein d’épines et de
mauvaises herbes, c’est toujours un espace dans lequel la bonne graine peut
pousser. Il faut se fier à Dieu.»
Prier, faire mémoire
«Je prie l’Office chaque matin. J’aime prier avec les psaumes.
Je célèbre ensuite la messe. Et je prie le rosaire. Ce que je préfère vraiment,
c’est l’Adoration du soir, même quand je suis distrait, que je pense à autre
chose, voire quand je sommeille dans ma prière. Entre sept et huit heures du
soir, je me tiens devant le saint sacrement pour une heure d’adoration. Mais je
prie aussi mentalement quand j’attends chez le dentiste ou à d’autres moments
de la journée. La prière est toujours pour moi une prière “mémorieuse”
(memoriosa), pleine de mémoire, de souvenirs, la mémoire de mon histoire ou de
ce que le Seigneur a fait dans son Église ou dans une paroisse particulière.
C’est la mémoire dont saint Ignace parle dans la Première semaine des Exercices
spirituels lors de la rencontre miséricordieuse du Christ crucifié. Je me
demande : “Qu’ai-je fait pour le Christ ? Qu’est-ce que je fais pour le Christ
? Que dois-je faire pour le Christ ?” (…) Par-dessus tout, je sais que le
Seigneur se souvient de moi. Je peux L’oublier, mais je sais que Lui, jamais.
Jamais Il ne m’oublie.»